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Quelles transformations des espaces scolaires et éducatifs pour quel(s) projet(s) démocratique(s) au XXIè siècle ? Dans la plupart des systèmes éducatifs massifiés, l’école n’a plus l’apanage de la transmission des savoirs et de la prise en charge de l’ensemble des problématiques scolaires et éducatives. Sa capacité à porter seule les réponses aux défis démocratiques qu’on lui assigne est remise en cause par les faits. Si l’école est confortée dans ses fonctions de socialisation et d’encadrement de la jeunesse, si les niveaux de formation des nouvelles générations sont supérieurs à ceux des précédentes, si les aspirations à la démocratisation scolaire sont partagées et se sont imposées comme un enjeu majeur de développement économique, voire démocratique, aucun système éducatif ne parvient à conjurer les inégalités sociales et sexuées de réussite, et ce malgré des différences de performances importantes en la matière (Janmaat, Duru-Bellat, Green, & Méhaut, 2013). Les données statistiques sur les parcours des élèves rappellent le poids de l’héritage social sur les destins scolaires. Les modalités d’accès aux différentes voies d’études et aux diplômes sont fortement différenciées et hiérarchisées selon leur sexe, leur classe (Bourdieu & Passeron, 1970, Bernstein, 1975) et les rapports sociaux de race (Stevens & Dworkin, 2014). Il apparaît dès lors nécessaire d’analyser les articulations entre ces différentes catégories (Bereni et al., 2008). Alors que la distance qui sépare les élèves issus des classes populaires, notamment les garçons, des normes scolaires ordinaires ne semble pas se réduire, les filles ne traduisent pas sur le plan professionnel leur réussite scolaire, alors même que les diplômes sont devenus indispensables sur le marché du travail.

Dans le même temps, les espaces scolaires et éducatifs semblent se recomposer autour de la mobilisation de nouveaux acteurs et de nouvelles formes d’organisations des activités scolaires et éducatives, de la transformation des échelles d’intervention, de la promotion de pratiques différentes et parfois alternatives à un modèle scolaire en difficulté (Ben Ayed, 2009; Seddon & Levin, 2013, Maurício (ed.), 2014). Cette transformation va de pair avec un mouvement international de recomposition des modes de régulation des systèmes scolaires, caractérisé par une compétition accrue entre les établissements soutenue par des politiques publiques aux effets nuancés (Felouzis, Maroy, & Van Zanten, 2013). On doit pouvoir interroger les effets de ces politiques en termes de spatialisation des problèmes sociaux dans et autour de l’école, en lien avec des inégalités de ressources éducatives entre les territoires. Les modèles centralisés se recomposent au profit de nouvelles formes d’organisations scolaires qui se constituent autour de la sédimentation des modes de régulation (Buisson-Fenet & Pons, 2014) et de la démultiplication des dispositifs locaux. Ceux-ci sont construits pour répondre à l’hétérogénéité des publics et aux contraintes locales perçues comme spécifiques (Barrère, 2013). L’accroissement de l’autonomie des établissements conduit ainsi à structurer ces dispositifs autour de caractéristiques supposées des territoires et de la mobilisation des collectivités locales et territoriales, des associations communautaires ou de proximité, des mouvements d’éducation populaire et d’empowerment. L’implication de ces nouveaux acteurs dans la prise en charge de questions scolaires appelle sans doute à une évolution des champs d’analyses mobilisés qui débordent les cadres scolaro-centrés. Auparavant engagés dans d’autres formes » encadrement de la jeunesse, ces acteurs se mobilisent désormais fortement sur la prise en charge de difficultés singulières qui peuvent être désignées sous le terme de nouvelles problématiques éducatives.

Celles-ci désignent des « problèmes publics » (Cefaï & Terzi, 2012), qui se posent et se recomposent de manière spécifique dans l’espace scolaire. Elles perturbent ou questionnent le fonctionnement ordinaire de l’école et/ou remettent en cause ses fonctions sociales élémentaires. Leurs formes de prise en charge et de prévention interrogent l’articulation des missions traditionnelles de l’école autour de l’instruction, de la transmission des savoirs et de la construction des apprentissages, avec des formes éducatives plus larges. La promotion, dans le débat public, médiatique et scientifique, des difficultés considérées comme spécifiques que posent ces problématiques participent de leur définition et de la mobilisation d’acteurs pluriels dans leur prise en charge (Isambert-Jamati, 1985). L’échec scolaire, la violence à l’école, le décrochage scolaire, les discriminations ethnoraciales, sexuées et selon l’orientation sexuelle, sont quelques-unes de ces nouvelles problématiques éducatives dont il reste à analyser les constructions, les usages et les critiques qui leur sont adressées (Lemieux, 2009).

On peut s’interroger sur les conditions de leur émergence dans les démocraties dont les systèmes éducatifs sont massifiés. Sont-elles un effet incontournable des organisations scolaires contemporaines ? Marquent-elles un affaiblissement de l’école dans sa visée socialisatrice, ou au contraire une forme de scolarisation du social qui oblige à un traitement croisé des difficultés posées ? Comment ces difficultés s’agrègent-elles aux contextes locaux et à leurs marqueurs sociologiques ? Les formes de désignation de ces objets, la manière dont ils sont pris en charge, la perception qu’en ont les acteurs et ce qu’elles disent de la recomposition des espaces scolaires et éducatifs seront au coeur de ce colloque. Il doit être l’occasion de comparer des terrains et des objets qui pourront traiter des formes de désignation de ces nouvelles problématiques éducatives, des modalités de leur prise en charge à l’échelle locale, nationale ou transnationale, et de la manière dont ces situations sont appréhendées par les différentes catégories d’acteurs éducatifs, y compris les élèves. Le colloque doit également être l’occasion d’une mise à l’épreuve croisée de différentes recherches portant sur différents contextes nationaux ou régionaux, tout en privilégiant aussi la mise en perspective de travaux comparatifs à l’échelle internationale autour de ces questions.

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